Droit et cinéma, Droit et littérature

I am the Law

Le film Judge Dredd est loin d’être au niveau de la BD. On hésite longtemps sans savoir si les lectures au second voir au troisième degré sont assumées. Parfois, on croit entendre I am the LOL… (Le film a été plusieurs fois cités parmi les plus grands navets de l’année voire de la décennie). D’ailleurs, avant d’aborder cette grande page de la philosophie du droit que constitue Judge Dredd (la BD), il faut constater que la traduction du célèbre I am the Law mérite une petite explication.

En français, la phrase est traduite par La loi, c’est moi ! En réalité, il faudrait traduire par Le droit, c’est moi ! Law renvoie plus généralement au droit. La traduction française éclaire davantage l’amour de la loi des Français que la personnalité des Juges et le contexte dans lequel ils déploient leur activité justicière.

Le monde des Juges fait partie de ces mondes post-apocalyptiques variante guerre atomique option totalitaire. Les humains vivent dans des mégalopoles sous des régimes autoritaires qui ont oublié Montesquieu et les principes de base de la philosophie politique de type libéral et démocrate. Dans Judge Dredd, les démocrates sont d’ailleurs des terroristes qui pratiquent l’attentat à la bombe atomique ! Lorsqu’un référendum est organisé pour réintroduire la démocratie et abandonner le système des Juges, le résultat est négatif ! Les citoyens de Mega-City 1 ont oublié ce qu’était la démocratie.

Pas de démocratie, pas de réelle justice non plus. Du droit partout, mais pas de justice ! Police Juges partout, jutice nulle part !  Les Juges sont à la fois législateurs, juges (bien sûr) mais aussi bourreaux. La peine de mort n’est pas rare et est mise en œuvre de manière expéditive. Les voies de recours sont inexistantes : ni appel, ni pourvoi, ni aucun autre recours n’existe dans le monde des Juges. La liberté fait défaut mais manifestement ne manque guère aux habitants de Mega-City 1 (New York dans notre temps). La Statue de la liberté est désormais flanquée d’une Statue du Jugement représentant un Juge Guéant géant. Bref, il s’agit davantage d’un délire juridique que de droit ; un délire fondé sur le phantasme de la perfection de la règle de droit.

On ne trouve guère d’exemples d’interprétation du droit dans Judge Dredd alors que l’interprétation est inhérente au droit. L’interprétation des faits comme l’interprétation du droit sont absentes. A aucun moment, on ne perçoit la moindre hésitation sur la signification des faits constatés par un Juge : ils sont toujours parfaitement univoques. Il n’y a pas de quiproquo : le Juge est omniscient et n’est pas trompé par les faits. L’interprétation du droit est également étrangère au schéma mental des Juges. De même l’idée d’adapter la peine à la personnalité de l’auteur de l’infraction est ignorée (il n’y a donc aucune personnalisation de la peine). Le droit est appliqué sans que sa signification ne soit jamais mise en question. Le doute n’a aucune place dans le système juridique (si l’on ose dire) des Juges. Dredd lui-même doute rarement des vertus du droit tel qu’il est pratiqué dans le système des Juges (V. cependant Tale of the Dead man). S’il y a parfois des balles perdues, il n’y a pas de place pour l’erreur judiciaire.

En réalité, on n’est pas loin du tous coupables (au moins lorsque c’est Dredd qui juge!). Les citoyens ignorent largement d’ailleurs quelles sont les règles qui s’imposent à eux. Un tel degré d’ignorance du droit (combiné avec la maxime Nul n’est censé ignorer la loi) est le signe d’un régime où règne l’arbitraire. Comme les prêtres-juristes du très ancien droit romain, les Juges monopolisent le droit qui ne relie pas les citoyens mais permet simplement à une oligarchie d’exercer son pouvoir.

En définitive, il n’y a pas vraiment de droit dans un tel système. Judge Dredd a été largement utilisé par ses créateurs (multiples) afin de critiquer les travers de la société du XXe (puis du XXIe) siècle : pratique politique, société de consommation, environnement… Le monde de Judge Dredd est une sorte de dystopie, une utopie à l’envers et Dredd lui-même est l’antijuriste, une allégorie de l’injustice par excès d’un droit mal compris). Si la justice est aveugle dans les représentations traditionnelles, Dredd n’a pas de visage et les rares à qui il le révèle en sont horrifiés, car il découvre une justice inhumaine.

Pour aller plus loin :

Judge Dredd fait l’objet cette année d’une réédition en intégrale par Soleille (deux volumes pour l’instant)

Judge Dredd a inspiré les auteurs de jeux mais aussi quelques groupes de musique, outre Anthrax, on peut écouter Dredd song de The Cure…

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