Droit et cinéma

Mais ke fè la Polisse ?

Les films policiers mettent souvent en scène des enquêtes avec une intrigue bien identifiée parfois insérée dans une succession d’épisodes sans lien nécessaire avec l’enquête principale. Polisse s’éloigne résolument de ce modèle classique pour présenter une suite de saynètes qui dressent un tableau sombre mais humain de l’activité d’un brigade de protection des mineurs (BPM) dans le nord de Paris. Mais le film va bien au-delà. Il expose de manière brute une des faiblesses de notre société qui tout en faisant de l’enfant un petit prince le laisse exposé à la violence des adultes mais aussi des autres enfants.

Il faut tout de suite reconnaître que l’histoire de cette brigade de protection des mineurs est vraiment bien racontée. Les acteurs jouent parfaitement : Joey Starr fait un grand flic (il faut dire qu’il les connait un peu…), Karin Viard et Marina Foïs font un tragique binôme de déséquilibrées. Le seul vrai doute tient à Maïwenn elle-même. Ce n’est pas tant qu’elle ne joue pas bien mais l’utilité de son personnage n’est pas a priori évidente (ici pour une critique un peu sévère, voire injuste, du film). Cela lui permet de faire un bisou à Joey et de greffer une petite histoire sentimentale bobo rebelle au milieu du quasi docufiction. A bien y réfléchir, l’intégration du personnage de la photographe dans la BPM permet d’une part de nous faire entrer nous même dans le quotidien de ces policiers. Elle est un peu notre œil parmi eux. Elle est aussi, d’autre part, celle qui va briser la routine (si l’on ose dire en pensant aux cas traités par la brigade). Elle vient perturber le fonctionnement de l’équipe de policiers et permettre de raconter une histoire qui se tend et se tient finalement.

La réalisation est séduisante. Quasiment aucune scène ne représente un acte de violence sur un enfant. L’essentiel réside sans doute dans le rythme du montage davantage que dans les plans qui semblent globalement assez classiques. La subjectivité semble bien assumée grâce à des plans souvent assez serrés (il me semble à nouveau ; j’ai vu le film mais une fois seulement…). Bref, on ne s’ennuie jamais même si l’on n’est pas époustouflé par la virtuosité.

Sur le fond, le spectateur ne peut qu’être bouleversé par les cas racontés dans Polisse. Ils sont inspirés de faits réels comme on dit. La diversité des malheurs frappant ces enfants et ces adolescents est assez systématiquement exposée. De la maltraitance au viol incestueux, des roms délinquants au violeur à particule en passant par la mineur pornographe l’air de rien, le spectateur a le sentiment que rien ne lui ait épargné. On constatera qu’il n’y a aucun cas de prêtre pédophile (il faut dire que c’est inspiré de faits réels…). Même si l’on rit beaucoup, parfois jaune évidemment, on est touché par ces jeunes victimes qui ne se rendent pas toujours compte qu’elles sont précisément des victimes. Une scène d’anthologie est déjà bien connue : une jeune fille a consenti à pratiquer des fellations sur plusieurs garçons pour récupérer son portable que lui avait soustrait une autre fille (« c’est un beau portable… »). Face à une jeune fille qui ne comprend pas vraiment ce qu’elle a fait, la crise de fou rire qui saisit la moitié de la brigade présente lors de l’interrogatoire ne dissimule qu’à moitié la misère de la situation.

Ce genre d’histoire, les policiers appellent ça des « miols », des « maffaires », des « mardes à vue ». Un « miol » avec un m devant, c’est un mouais… viol, c’est-à-dire un viol mais pas vraiment un viol (Maïwenn au Nouvel Obs).

Le film rend d’ailleurs assez bien compte d’un certain nombre de mécanismes psychologiques (me semble-t-il. – V. ici surtout). L’écoute des victimes, comme celle des auteurs d’ailleurs (on n’y pense pas a priori mais c’est une composante importante manifestement de leur mission). On perçoit que chacun n’est qu’au départ d’un nouveau chemin dont nous ne pouvons pas deviner l’issue. Humainement, dans le meilleur des cas, on peut espérer que l’auteur des faits prenne conscience de la gravité de son acte et soit en mesure de demander pardon.

Je voyais des policiers dire à un prévenu : est-ce que vous pourriez au moins lui demander pardon ? Comme moi, ils donnaient une importance magique à ces mots de pardon (Maïwenn au Nouvel Obs).

De ce point de vue, le cas de l’aristocrate incestueux suscite naturellement la révolte. Non seulement il a fait ce qu’il a fait mais il fanfaronne au point de revendiquer un prétendu droit sexuel pour les enfants sur un mode très libertaire des années 1970. Pourra-t-il demander pardon un jour ?

Les personnages de policiers sont également très intéressants. Leur humanité et leur engagement forcent l’admiration même si leur vie personnelle est un peu chaotique. Certains commentateurs relèvent d’ailleurs que les personnes un peu fragiles voire franchement déséquilibrées deviennent des héros infaillibles dans leur fonction. Le film ne rapporte aucune erreur, tout au plus une maladresse dans une opération dans laquelle la BPM venait en appui (comme des figurants en réalité) d’une autre unité. Cela peut surprendre et laisse songeur. Comment se fait-il que ces grands enfants blessés soient si professionnels ? On perçoit toutefois, in extremis (dans la scène finale), les failles de certains d’entre eux et les drames qu’elles peuvent permettre.

En réalité, nous ne sommes qu’au début de chacune des affaires traitées. Il est parfois un peu troublant de se dire que la parole des enfants semblent être considérée comme vraie sans guère de discussions. La réalisatrice l’admet mais constate que dans la quasi totalité des cas, les enfants disent vrai. C’est tout à la fois rassurant et désespérant. En réalité, pour ma part, je nuancerais toutefois le jugement de certains critiques et journalistes sur ce point. La première scène laisse paraître la possibilité d’un doute. En effet, à la fin de ce qui constitue une sorte de prologue, on voit la policière faire apparaître un début de contradiction dans le discours de l’enfant qui accuse son père de lui avoir « gratté les fesses ». On ne sait pas bien ce qu’il en est en définitive mais on perçoit le mensonge et cela suffit à tempérer l’impression de sacralisation de la parole de l’enfant (ici).

Il ne faut pas oublier surtout que l’on se situe toujours au tout début de la procédure. Plus tard viendra l’instruction et le procès. Ce sont ces phases qui donneront l’occasion de faire apparaître la complexité des circonstances et des personnalités. Parfois, les responsabilités seront réévaluées. Je repense à cette affaire qui avait été présentée, il y a quelques années, comme un infanticide commis par le père avec la complicité passive de la mère alors que l’instruction a finalement fourni les éléments permettant aux assises de comprendre que c’était quasiment l’inverse. Il reste qu’il est intéressant de voir les membres de la BPM rester globalement dans le cadre de leur mission de police. S’ils n’ont guère de doutes sur les faits qu’ils constatent, ils tentent manifestement de ne pas condamner les personnes qui passent devant eux. Le film n’aborde pas du tout la phase judiciaire des procédures. Le seul juge qui apparaît est celui qui prononce le divorce de l’une des membres de la BPM lors d’une scène peu convaincante au demeurant. L’avenir des enfants et des personnes poursuivies n’est pas abordé. En contrepoint du drame final qui se déroule dans le commissariat, on perçoit malgré tout la possibilité d’une renaissance de l’enfant blessé.

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